La sixième édition d’Oper’Actuel – Works in progress 2019 présentée par Chants Libres les 16 et 17 mars au Gesù permet de découvrir six extraits d’opéras en cours d’écriture.

L’Ensemble MusiquAvenir du Conservatoire de Musique de Montréal dirigé par Véronique Lacroix ouvrait la soirée. La Nuit est ma femme de Mathilde Côté (Québec) sur un livret de Ivy, inspiré des textes en deux langues de Jack Kerouac. L’archet du premier violon divague, s’égare sur les cordes et semble tomber du manche en glissant. Un instant plus tard la violoniste parle en jouant. Cette parole qui déborde littéralement sur les instruments reste le maître mot de cette œuvre composée par Mathilde Côté sur les textes franco-anglais – et en joual – de Jack Kerouac qui s’interroge sur sa situation d’artiste franco-américain.

SLEEP d’Anthony R. Green (États-Unis) sur un livret de Clio Em, une œuvre de musique actuelle expérimentale où deux femmes et un piano se répondent et parfois s’interprètent mutuellement. Abordant une compétition systémique entre un humain et d’un robot, SLEEP explore leurs « émotions » la veille de ladite compétition. L’œuvre offre un point de vue contemporain sur le conte de fées… mais le miroir magique révèle les contraires des deux individus. Deux voix en miroir, transformées par la micro-tonalité. « Mon approche de la composition varie de très tonale et accessible à très expérimentale », explique Anthony R. Green dont la partition très travaillée amène une ambiance musicale profondément psychologique et induit le drame.

American Atheist de Stefan Weisman (États-Unis) sur un livret très écrit et théâtral de David Côté, est un extrait typique de l’écriture américaine avec un sujet politique historique : la vie et la mort violente de Madalyn Murray O’Hair (1919-1995), une athée emblématique. Ironiquement, chaque scène est liée à un passage d’une messe de requiem autour d’une écriture musicale cohérente et formelle. Une composition de trame plus conventionnelle, avec toutefois de longs moments introspectifs qui créent une tension palpable.

Appena prima, Appena dopo d’Analía Llugdar (Argentine) sur un livret d’Ana Candida Carneiro, propose quelques esquisses d’une œuvre en plein processus d’écriture dans le style expressionniste du sprechgesang (chant parlé) avec trois voix et six instruments. Inspiré du mouvement de la poésie concrète brésilienne, Analía Llugdar « cherche, à travers la musique, à créer un univers sonore à l’image des émotions humaines avec ses forces, ses frustrations et sa poésie », mettant en valeur de nouveaux timbres qui créent des textures complexes, violentes et fragiles à la fois.

Cantique des oiseaux de Farangis Nurulla-Khoja (Tadjikistan) sur un livret de Leili Anvar, avec l’Ensemble de musique contemporaine de l’Université de Montréal, revisite la trame des grandes fresques du théâtre musical à l’européenne. L’orchestre place tout de suite l’ambiance d’une volière. Mais la cage semble invisible… ou immense, et contient leur envol libertaire… à moins qu’on image ainsi la condition humaine sur cette terre !

Le Nouvel Ensemble Moderne (NEM) dirigé par Lorraine Vaillancourt présenta L’orangeraie de Zad Moultaka (Liban) sur un livret de Larry Tremblay. Tirée de son roman éponyme, cette œuvre parachevait la soirée, maintenant la tradition des Oper’Actuels de présenter un premier extrait de la prochaine grande production (2020) de Chants Libres. L’Orangeraie, ou l’histoire effroyable de deux jumeaux bousculés et maltraités par la guerre. La mort, le souvenir, la peur, et enfin la paix après bien des épreuves… La place et l’expression du silence dans la lente reconstruction des âmes et le temps qu’il faut donner au temps pour y parvenir. Tout cela évoqué par de longues et fascinantes suites musicales et vocales. Dans l’extrait entendu ce samedi soir, Zad Moultaka a même utilisé la bande sonore ralentie d’un avion en descente préparatoire à l’atterrissage.

Ce spectacle de découvertes lyriques à venir sera de nouveau présenté ce dimanche 17 mars à 16 h au Gésu. Pour finir, rappelons que Chants Libres est un pionnier canadien à l’avant-garde de la création d’opéra au Québec et compte 16 créations majeures à son actif. La présence internationale de la compagnie assure un rayonnement toujours croissant aux créateurs d’ici.

Michel Joanny-Furtin